Lily était venue passer le week end. J'avais longtemps refusé qu'elle vienne mais par nostalgie et peut être aussi par solitude, j'avais fini par lui proposer de me rejoindre pour le week end. Elle avait découvert cette nouvelle vie que je m'étais construite en quelques semaines et elle semblait rassurée que mon quotidien. Je devais avoir l'air de me débrouiller très bien toute seule même si elle avait souligné que je n'avais pas vraiment cherché à rencontrer du monde. Certaines choses changent d'autres non. A part cette chirurgienne à l'hôpital et Mathis qui venait régulièrement, je n'avais pas vraiment de relations sociales mais pour l'instant, c'était encore supportable. Peut être que de vivre ici sans Lily pour me materner me forcerait à sortir de ma coquille pour m'ouvrir aux autres.

La venue de ma meilleure amie avait été l'occasion de visiter un peu la ville et de découvrir les deux facettes urbaines et naturelle des lieux. Même s'il n'avait pas fait assez beau pour barboter, on avait profité de la côte et de l'atmosphère océanique. Le week end avait filé vite en crapahutant un peu partout. Son avion repartait tard dans la soirée et on avait décidé de dîner en ville avant qu'elle ne parte. Derniers fou rire, Lily étant la seule capable de me faire rire à ce point. Dernières confidences et de sa part derniers encouragements.

Je l'avais accompagnée jusqu'à la navette qui l'emmènerait jusqu'à l'aéroport. Des taxis dédiés aux aller retour entre la ville et l'aéroport attendaient leur prochains clients. On avait trainé encore un peu, jusqu'à ce que la limite avant le retard ne se présente. Un dernier câlin et j'avais vu la jolie danseuse donner sa valise au chauffeur avant de s'engouffrer à l'arrière de la voiture.

- Prend soin de toi...

- Toi aussi...

- Tu me manques

- Toi aussi, mais j'avais besoin de partir.

- Je sais...

On partageait un silence lourd en émotions et Lily reprenait la parole, incapable de ne pas me chouchouter plus de 5 minutes.

- Laisse les gens entrer dans ta bulle Amy... Que je puisse me dire que si je ne suis pas là, quelqu'un est là pour veiller sur toi...

Je n'avais pas répondu autrement que part un sourire qui promettait que j'allais essayer mais je n'étais pas sure d'arriver à m'ouvrir à quelqu'un autant qu'à Lily. C'était plus facile avec elle, elle avait été là avant. Elle avait été la seule que j'avais accepté de mon ancienne vie. Peut être parce que malgré son côté protecteur, je n'avais jamais vu la pitié dans son regard. Le moteur du taxi avait ronronné et on se saluait une dernière fois. La vitre remontait sur le visage de Lily et le taxi s'éloignait alors que je le suivais du regard.

La soirée était fraîche mais agréable bien que la pluie menaçait de tomber bientôt. Il était près d'une heure du matin et les rues se faisaient plus désertes. Le coeur lourd d'avoir vu partir ma meilleure amie, je ressentais le besoin de faire une partie du trajet en fauteuil avant de prendre un taxi un peu plus loin pour rentrer. C'était l'occasion de faire un premier bilan de mon arrivée ici. Je me sentais plutôt bien ici, avec l'impression de pouvoir respirer. Je n'avais pas à m'inquiéter de croiser un jour Thomas quand il serait libéré. Les souvenirs, New York, moins de choses me rappelaient ce que j'avais été et je sentais le poids sur mon coeur s'alléger un peu. Restait à me sociabiliser mais ça c'était une autre histoire...

Perdue dans mes pensées, je n'avais pas vu arriver une bande de 4 jeunes à l'allure un peu douteuse. J'avais entendu leurs murmures sans pour autant y prêter attention. Mais quand deux d'entre deux s'arrêtaient en travers de mon chemin, je n'avais pas eu le choix de lever la tête vers eux. J'avais tenté alors de contourner mais apparemment ils ne comptaient pas me laisser passer.

- Alors la deux roue... On traine dans notre quartier? ça se paye ça...

- Laissez moi passer...

Cette fois je tentais de forcer le passage, refusant de montrer une quelconque peur. Mais ils me retenaient et je n'arrivais pas à pousser sur les roues assez fort pour les faire lâcher le fauteuil.

- Non mais t'as pas compris...

La petite ruelle était l'endroit parfait pour me faire basculer hors de mon fauteuil. La chute, violente, ne fut pas sans douleurs et sur le coup, j'avais eu le souffle coupé. J'avais basculé en quelques secondes dans un cauchemar. De me retrouver sur le sol faisait remonter des souvenirs de coups encaissés quand Thomas m'avait battue la première fois. Je me sentais paniquée et j'étais prête à tout pour que ces types s'en aillent et vite.

- Laissez moi partir... Je vous donnerai ce que vous voudrez? Vous n'avez qu'à prendre ce que j'ai dans mon portefeuille...

Les individus étaient violents et n'hésitaient pas à se montrer agressif et je préférais les laisser me dépouiller tant qu'ils s'en allaient et que je pouvais retrouver mon fauteuil. Ensuite j'aurais le temps d'appeler la police mais là, je voulais juste éviter un surplus de violence.

L'un des types retournait mon sac dont le contenu se répandait sur le sol. Mon portable, mon portefeuille, le peu de maquillage que je pouvais avoir ou le miroir de poche s'éparpillaient sur le sol en goudron. Mon portefeuille les intéressaient et celui que je considérais comme leur leader faisait le tri, ne prenant que ce qui était intéressant.

C'était tout ce qu'il leur fallait. Tout ça pour ça. Il me regardait d'un oeil mauvais alors que j'avais fixé mon portable trop longtemps, dans l'espoir de pouvoir appeler la police après leur départ. Il donnait alors un coup de pied pour l'envoyer valser à quelques mètres. Quant à mon fauteuil que j'espérais retrouver même s'il serait assez physique de le remettre sur ses roues; ses copains le soulevaient et le balançait dans la benne à ordure à côté. Démunie, il me laissait là, s'enfuyant en ricanant.

J'avais essuyé mes mains écorchées et constaté mon bras qui n'était pas dans un meilleur état. Je n'avais pas d'autre choix que de me traîner jusqu'à mon portable. Quelqu'un passait devant la ruelle et j'avais hurlé mais personne ne s'était retourné, personne n'était venu. En mettant enfin la main sur mon téléphone, je ressentais un premier soulagement. C'est le nom de Mathis qui apparaissait dans le journal des appels et je renonçais à appeler la police. Je me sentais humiliée d'avoir fini dans une situation comme celle-ci et je préférais que ce soit quelqu'un que j'apprécie un minimum qui me retrouve comme ça. Et Mathis était quelqu'un que j'aimais beaucoup. Même si je ne lui montrais pas tellement à cause de mon côté renfermé. La sonnerie avait retenti plusieurs fois et vu l'heure, j'étais persuadée que je le réveillais. Mais sa voix avait soudain résonné et j'avais eu envie de pleurer de soulagement.

- Mathis... Je suis désolée de l'heure... Je... On m'a agressée et mon fauteuil est hors de portée... Je suis coincée...

La gorge nouée, je tentais de lui expliquer où je me trouvais, ne connaissant pas encore bien le nom des rues. Il promettait de faire vite et en raccrochant, je laissais échapper un sanglot, un vrai, avant d'essuyer mes larmes et d'essayer de me calmer. En attendant Mathis, je tentais de respirer et de ne plus paniquer. Il arriverait et tout irait bien. Ces types n'allaient pas revenir de toute façon. Je ne pouvais pas vivre pire situation pour ce soir. Excepté peut être la pluie dont je sentais les premières gouttes espacées tomber. Je devais vraiment avoir un mauvais karma...

Après avoir raccroché, j'avais procédé à un certain état des lieux. Mes mains écorchée et mon bras sur lequel je m'étais retenu me faisaient mal. C'était assez facile de réaliser l'endroit où j'étais blessé. J'avais mal aux côtes rien qu'en respirant mais je minimisais la gravité de la blessure. J'allais avoir le droit à un bleu je pense. Mais mes jambes elles, c'était plus compliqué. Apparemment ça allait, dans ma chute, c'était le bras qui avait tout pris. Mes jambes avaient suivi mais mon pantalon intacte me laissait penser que je n'avais rien de cassé. C'était déjà ça. Heureusement que ces types ne m'avaient pas rouée de coups et qu'ils s'étaient arrêtés à me renverser.

J'avais retrouvé un peu de calme au moment où Mathis se faisait entendre.

- Je suis là!!

J'avais agité mon portable dont l'écran projetait une lumière qui attirerait son attention. Aussitôt, il avait sorti mon fauteuil hors de la benne et pendant qu'il le nettoyait un peu d'un coup d'oeil je vérifiais que ce dernier n'avait rien. Sans mon fauteuil, j'étais réellement coincée mais dans tout mon malheur de cette soirée, j'avais au moins la chance de le récupérer intact. Mathis se précipitait et il paraissait plus choqué que moi à présent. Mais sans doute parce que j'avais eu quelques minutes pour me calmer avant son arrivée.

- Non... J'ai vu ton nom dans les derniers numéro, j'ai pas vraiment réfléchi... Mais ça va aller... C'est moins grave que ça en a l'air...

Je n'avais pas envie d'avouer que j'avais évité la police pour être encore une victime. Je l'avais été assez dans ma vie, je n'avais pas envie de passer des heures au commissariat. Je porterai plainte mais pour l'instant, je voulais juste me sortir de cette ruelle. Habituée à le tutoyer depuis quelques temps, à la demande de Mathis, il m'avait toujours vouvoyée. Mais le passage du vouvoiement au tutoiement de la part du jeune homme ne me choquait pas. Il faut dire que c'était bien le dernier de mes soucis et que même plus tard, je n'étais pas sure de vraiment être gênée par ça.

- ça devrait aller... J'ai juste le bras droit amoché, le reste ça va...

Du coup il me récupérait du côté le moins endoloris. Je serrai les dents jusqu'à ce que le mouvement pour me mettre sur le fauteuil ne réveille une horrible douleur dans les côtes. J'en avais presque le souffle coupé. Par réflexe, j'avais agrippé son bras et cherché ma respiration. Moi qui pensait éviter la case hôpital et police, c'était beaucoup moins bien parti.

- Je crois...

Calée contre le dossier, je tentais de trouver une position moins douloureuse. L'adrénaline redescendue, je ressentais la vive douleur au niveau de mes côtes. Ce n'était pas Mathis qui l'avait réveillée, il avait été d'une délicatesse rare pour me remettre en selle mais le changement de position m'avait fait réalisé certaines blessures que je croyais légère jusqu'à présent. Mathis comme moi avait compris qu'il serait sans doute plus sage d'aller à l'hôpital.

Sur le trajet, j'avais laissé échapper un "merci". C'était un merci lourd de sens, qui valait au moins un million d'autres "merci". Arrivés chez moi, Mathis jouait encore les héros en s'occupant de donner tous mes papiers pour que je puisse être appelée plus tard. Arrivés dans un des rare creux dans l'emploi du temps des urgences, un médecin était rapidement venu nous trouver. J'étais passée sur un lit mais d'autres urgences arrivées entre temps kidnappaient mon médecin et je me retrouvais à attendre dans un coin. Mathis avait été autorisé à me rejoindre. J'allais passer des radios pour mes côtes et quelqu'un viendrait s'occuper de mes plaies aux mains et au bras. Je détestais me retrouver impuissante comme ça.

- Si tu veux rentrer... Je veux pas que tu te sentes obligé de rester... Je t'ai déjà embêté au milieu de la nuit...

Ce n'était pas du tout une réflexion du genre, maintenant que je suis prise en charge tu peux disposer. non, c'était surtout une crainte d'abuser de sa disponibilité et de sa gentillesse. J'avais parfois encore du mal à lui donner du boulot alors là, j'avais des difficulté à prendre de son temps.

- Je suis désolée... Je pensais pas que j'aurais un jour besoin de t'appeler en pleine nuit... Mais merci d'avoir été là...

J'esquissais un petit sourire plein de reconnaissance.

La présence de Mathis me touchait beaucoup. J'avais serré sa main doucement dans la mienne. En fixant nos deux mains, je réalisais que c'était le premier contact amical, à part avec Lily que j'avais depuis le soir où Thomas m'avait brisé le dos. Mathis n'avait probablement aucune idée de la valeur de ce geste anodin mais je voyais là déjà un progrès. J'avais laissé Mathis rentrer dans mon quotidien en travaillant pour moi, mais au delà de la relation employeur/employé, il y avait apparemment une certaine amitié qui était née. Moi qui avait eu si peur tout ce temps d'ouvrir la porte à quelqu'un, je réalisais que ça faisait du bien aussi d'accepter d'accorder sa confiance et son amitié à nouveau.

- C'est gentil, merci...

Il m'interrogeait ensuite sur ce qui s'était passé et en y repensant, un frisson remontait le long de mon dos. J'avais eu peur dans cette ruelle et j'avais eu peur que ça finisse bien plus mal. Même si la douleur à chaque respiration me rappelait que ces types avaient déjà été assez violents.

- Ma meilleure amie de New York est venue passer le week end. On a dîner en ville avant qu'elle prenne la navette pour l'aéroport. J'avais juste envie de profiter de la soirée de printemps. Sauf que je ne connais pas encore bien la ville et il faut croire que le quartier où j'ai mis les pieds était pas le plus accueillant...

Je grimaçais en me remémorant ma mauvaise rencontre avec la bande de jeune.

- Je roulais et j'étais probablement en train de rêvasser quand deux des types ce sont mis sur mon chemin. Je leur ai jeté un regard, j'ai essayé de les contourner sans chercher d'histoires... Ils ont parler de devoir payer pour passer alors j'ai tenté cette fois de forcer le passage. Je me disais qu'ils voulaient juste me faire peur. Sauf qu'ils ont retenu le fauteuil...

Je me trouvais idiote d'avoir réagis comme ça. En même temps, je n'étais pas sure qu'en adoptant un autre comportement, les choses se soient passées autrement. Je frottais mon visage nerveusement en arrivant au moment le plus violent.

- Ils m'ont fait basculer hors de mon fauteuil. A 4 ils en avaient la force.

Et là aussi, rien qu'en évoquant ce moment, je me revoyais sur le sol du salon de mon appartement à New York. Quand la batte de base-ball avait émietté ma colonne vertébrale.

- Je leur ai dis de prendre ce qu'ils voulaient et de me laisser partir... Je voulais juste qu'ils s'en aillent.

J'avais beau tout faire pour rester le plus possible maîtresse de mes émotions, la nervosité nouait ma gorge et j'avais du mal à parler. J'avais envie de pleurer mais je résistais. Mon esprit mélangeait tout un tas d'émotions : le soulagement, la peur, le souvenir de New York etc. Pas facile d'y voir clair.

- Ils ont vidé mon sac, pris ce qui les intéressaient. Ils on envoyé mon téléphone valser à quelques mètres et mon fauteuil, tu as vu où ils l'avaient envoyé... Et puis ils sont parti en me laissant là...

J'étais en colère mais je me sentais surtout faible. Si j'avais eu mes jambes, j'aurais peut être pu m'enfuir en courant. Alors que je pensais en avoir finit avec mon récit, quelqu'un arrivait dans la pièce où on nous avait installés. 2 policiers se présentaient, l'hôpital avait signalé une agression car c'était la procédure. Je ne comptais pas éviter cette étape là, ça me paraissait évident qu'il était nécessaire de porter plainte. J'avais donc réitérer mon histoire, même si en plus je donnais des détails sur le physique de mes agresseurs. Les policiers avaient été plutôt délicat dans leur façon de recueillir mon témoignage. Au moment où ils allaient partir, un infirmier venait me chercher pour aller faire des radios. Autant dire que c'était mouvementé depuis quelques minutes.

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Bien plus tard, je pensais que Mathis serait parti mais il attendait toujours dans la salle d'attente.

- Je commence vraiment à m'en vouloir de t'avoir fait resté autant de temps...

Deux nouvelles heures avaient passé entre les radios, l'attente et la visite du médecin. Pour les côtes, 2 étaient fêlées. Le traitement consistait à avaler des antalgiques pour calmer la douleur. Il fallait laisser le temps faire son oeuvre. Mes mains et mon bras avaient été désinfecté. Les coupures n'étaient pas assez grandes pour nécessiter des points heureusement. Je me sentais lessivée après tout ce parcours et en rejoignant Mathis, j'étais soulagée d'en avoir terminé.

- Ils m'ont fait une ordonnance. J'ai des cachets pour cette nuit en attendant.

Je lui faisais un résumé des côtes fêlées aux blessures légères.

- Je vais demander un véhicule pour rentrer chez moi... Je suis sure qu'on pourra négocier avec le chauffeur pour te déposer en route.

Je n'avais qu'à passer au bureau des sorties et on serait libre de s'en aller. La douleur était déjà plus supportable grâce aux injection d'anti-douleur. J'avais juste l'impression d'être cabossée de partout et de ne plus avoir d'énergie. Sans Mathis, je n'aurais sans doute pas pu supporter tout ça.